Souvenirs...
Après une période de deuil , cet hiver, je me suis posé la question de savoir si je recommencerai à créer, si je serai capable de pratiquer à nouveau le land art, avec cette douleur, d'avoir la moindre idée, de retrouver les gestes. Alors, j'ai repris la direction des plages et je me suis mis à marcher, marcher encore. La mer était basse, le ciel dégagé, pas de vent, juste un froid piquant pour me rappeler l'hiver. J'ai marché, d'abord en direction du soleil, puis je suis remonté dans les dunes et je me suis assis, perdu dans mes pensées. J'aurai bien tracé une spirale, mais cela me paraissait impossible. Je suis redescendu vers les pierres et j'ai commencé à" jouer" avec, comme un enfant, à genoux, réalisant de toutes petites choses comme cet inuksut nain. J'ai continué par des équilibres, puis des tracés de ligne avec un bois flotté, puis un cercle , en piétinant le sable mouillé. Des signes, des traces, la solitude, des souvenirs...Cela, sur des kilomètres, perdus dans le temps, l'espace, sans lien véritable. Il fallait en passer par là.
L'hiver, ici, le soleil quitte la plage de bonne heure et j'ai consacré l'heure qui me restait à réaliser cette première spirale, après son départ. Je suis parti dans mes souvenirs lointains, ma petite enfance à Saint Nazaire, sous les bombes, et même plus loin, dans ce pays que l'on appelle la peur. La spirale est sortie du sable, comme si ce n'était pas mon travail, comme si ce n'était pas moi qui l'avait tracée. On dirait que parfois, la maitrise du geste remplace jusqu'à l'intention de tracer et permet à l'esprit de s'évader quelques instant sans rien perdre en qualité.
J'ai photographié cette spirale au soleil couchant et lorsque j'ai quitté la plage , il avait disparu derrière les dunes. Restait le froid sec pour m'accompagner et terminer la marche.
Roger Dautais
Fais ta demeure
dans la parole retenue
sur la rive d'une phrase
Tahar Beb Jelloun
à l'insu du souvenir
C'est avec des cendres
de la séparation
que se prépare la mixture
à s'enduire
quand l'insomnie noue l'estomac
de l'absence
la salissure des larmes
n'a aucune vertu
sinon d'inhumer avec oraison
la coquille évidée
des heures du rapprochement.
Alain Mabanckou
Les arbres versent aussi des larmes